Des cicatrices recouvertes d’or

« T’es vulnérable, t’es faible, t’es rien. Point final »
Phrase lue dans le message d’un lecteur qui me partageait sa peur de se montrer vulnérable.

Vulnérable : « Qui est exposé à recevoir des blessures, des coups », « Qui est exposé aux atteintes d'une maladie, qui peut servir de cible facile aux attaques d'un ennemi », « Qui, par ses insuffisances, ses imperfections, peut donner prise à des attaques ».
Wow!
Par ces simples définitions, tout est déjà dit. Pas le goût de se montrer vulnérable dans ce monde de loups prêts à mordre.
Faiblesse : « Incapacité à se défendre, à résister. »
Être vulnérable donc c’est être faible. Tout le monde le sait. Plutôt tout le monde le dit et cela nous est transmis de génération en génération : dans la vie, on persévère, on est courageux, on tient bon. On pleure pas ( surtout les hommes) et on arrête d’être trop sensible ( surtout les femmes).
La moindre marque de faiblesse et c’est l’autre qui en profitera sûrement.
J’entends cela chez des enfants de plus en plus jeunes dans mon cabinet, chez des parents qui ne veulent pas parler d’anxiété chez leurs enfants, de dépression pour eux, car le système pourrait profiter de leur faiblesse...
Choisir l’authenticité de la vulnérabilité est un risque dans cette société (ne nous le cachons pas) ...
« Moi je sais que parfois, il vaut mieux rester comme ça, à l’intérieur de soi, renfermé. Car il suffit d’un regard pour vaciller, il suffit que quelqu’un tende sa main pour qu’on sente soudain combien on est fragile, vulnérable, et que tout s’écroule, comme une pyramide d’allumettes » écrit Delphine de Vigan.
Vu sous cet angle, pourquoi se fragiliser en exposant cette vulnérabilité?
Et envisager de parler de nos propres défis à nos enfants? voyons-donc! Risquer de paraître faible, incapable; risquer de perdre notre posture parentale, notre autorité, en nous montrant vulnérables ??
Petit rappel: nous sommes TOUS vulnérables. Tous et régulièrement même. Quotidiennement. Et il est important de le rappeler. Deux choix s’offrent à nous à partir de cette prise de conscience : cacher ou montrer cette vulnérabilité?
Se montrer vulnérable c’est dire l’émotion, la laisser s’exprimer. C’est accepter toutes les émotions et ne pas réprimer celles que l’on juge « négatives », honteuses, dangereuses. L’émotion s’accueille et se dit. Et c’est un formidable message à donner à nos enfants. Les études montrent même que témoigner de ses émotions avec ses enfants, participent à la construction de leur empathie plus tard!
Se montrer vulnérable, c’est se montrer comme on est. Certains disent que c’est comme être tout nu devant tout le monde. On vous voit, vous ne pouvez pas échapper au regard scruteur et jugeant.
Alors à quoi bon risquer de s’exposer comme cela à ce regard et ce jugement?
Restons bien au chaud, cachés, dans nos tanières rassurantes et endossons nos costumes quand nous sortons.
Mais que se passe-t-il quand on rentre chez nous? À l’abri des regards?
On redevient soi et on est fatigué. Fatigué d’être soi? (Le titre de ce livre, « La fatigue d’être soi » m’a toujours intriguée) : je ne suis pas certaine que l’on soit fatigué d’être soi mais plutôt fatigué du cirque social et du port de masques (voire de l’armure) qu’on endosse chaque jour avant de quitter notre cocon.
Pourquoi serions-nous fatigués d’être nous-mêmes? Nous sommes celui, celle avec laquelle nous avons vécu, vivons et vivrons jusqu’au bout et nous n’avons pas le choix. Pourquoi essayer de nous échapper de nous-même et se surcharger de tous ces déguisements? (J’en parlerai dans un prochain article)
Lorsque je me suis effondrée, j’ai réalisé que je croulais sous le poids de mon armure et que mon visage était rendu déformé par ces masques. Et même si je tentais de les retirer, chaque fois, derrière un masque arraché, se trouvait un autre, plus anciennement placé donc plus résistant. Je n’arrivais plus à les décoller. Et ils pesaient lourd, trop lourd. Me brûlaient et m’étouffaient. Je suffoquais.
Et pourtant derrière tout cela, ultimement, il y avait moi, vulnérable et belle.
Être vulnérable et beau?
L’idée de beauté dans la vulnérabilité me fait penser au Wabi Sabi, concept japonais. Le Wabi c’est la simplicité, la dyssymétrie et le Sabi c’est l’altération du temps, la patine, les salissures. C’est une disposition spirituelle à contre-courant des modèles standardisés et modernes. Il invite à la contemplation et au détachement vis à vis de la perfection en reconnaissant le caractère irréversible du temps, l’aspect éphémère des choses et leur « humble beauté », leur patine faite par le temps et les épreuves. De cette philosophie découle l’art du Kintsugi : les artistes soulignent les failles des objets usagés et cassés avec des fils d’or.
Chaque cicatrice, fêlure d’un bol, d’un objet, est réparée avec de l’or véritable, vous imaginez? L’imperfection est mise en valeur et ces objets sont extrêmement prisés!
Anatole France a dit : « Ma faiblesse m’est chère; je tiens à mon imperfection comme à ma raison d’être »
Alors plutôt que de dissimuler notre vulnérabilité, pourquoi ne recouvririons-nous pas nos fêlures personnelles de fil d’or, pour au contraire les exposer au monde et révéler leur beauté?

Des fêlures recouvertes d'or
Et vous?
Seriez-vous prêts à commencer ce travail de réparation avec des feuilles d’or?
À exposer votre vulnérabilité?
Pensez-vous qu’il est important de parler de vulnérabilité avec les enfants?

Copyright 2018 Céline Lamy. Tous droits réservés.

One thought on “Des cicatrices recouvertes d’or

Comments are closed.