Ma maison des pensées
Petite, j’ai construit et rêvé ma maison-cabane: toute simple, au fond du jardin faite de murs d’imagination, de tapis de lichens, d’un chauffage de soleil, d’un toit de rêves et de ciel.
Lors de la première visite officielle à un grand cousin, celui-ci m’a expliqué qu’une vraie maison, ça nécessitait des murs solides et un toit résistant sinon au premier coup de vent, elle s’envolerait. Ce sont ses mots, emplis de raison déjà toute adulte, qui m’ont donné ma première claque.
Alors j’ai bâti une nouvelle maison dans ma tête dont les murs étaient des pensées. Chaque pièce était décorée de “tu dois”, “il faut”, “surtout ne pas”, “retiens bien”, “ fais correctement”, “souris et sois polie”.
En grandissant, elle devenait impressionnante ma maison des pensées; elle était jolie cette maison, rassurante, confortable et prévisible. Solide et résistante à toute intempérie. Que je croyais!
Lorsqu’un jour, ma maison fut frappée d’une tempête, puis ébranlée par un séisme, je préférais par précaution, épaissir les murs de pensées de “je devrais”, “j’aurais du”, “j’aurais pu” dans chaque pièce de ma vie : la pièce de la bonne mère, celle de la bonne épouse, du médecin compétent, de l’amie fidèle…
Les murs devinrent si épais, que la maison est rapidement devenue une forteresse, si lourde à porter…Pour se transformer enfin en une prison. Il n’y avait plus de fenêtres ouvertes sur l’extérieur et le jour n’y rentrait plus beaucoup.
Plus les murs s’épaississaient et plus je me sentais écrasée, étouffée, à l’étroit.
Je tentais d’en sortir parfois mais cela m’étourdissait, m’éblouissait et m’effrayait… alors je me renfermais dans cette forteresse de pensées, en errant dans chaque pièce, et y regardant les décorations vieillies mais rassurantes.
Il y a trois ans, à notre arrivée au Québec, j’ai été invitée dans la cabane de mes enfants… faites de lierres, de lichens, d’imagination, de rêves et de ciel.
Et je me suis tue, prise d’un vertige.
Où était-elle ma cabane, celle du début, faite de rien, faite de vie?
J’ai décidé de casser chaque mur de pensée de ma maison , d’ouvrir les portes, une à une, de chaque pièce, d’aérer et de jeter les vieilles décorations.
À la poubelle les “je devrais”, les “ si seulement”, les comparaisons…
Cela m’a pris du temps. Plus qu’un nettoyage de printemps.
Il a fallu plusieurs printemps, et plusieurs hivers; de l’aide aussi, pour le déménagement. J’ai fait beaucoup de tri (dans les pensées, dans les priorités, dans les relations)
En atteignant le dernier étage, j’ai découvert une petite porte, que j’avais oublié depuis très longtemps. Je passais devant régulièrement mais sans la voir. Une petite pièce que je jugeais inutile, où j’avais entreposé des petits bouts de moi, d’année en année. Les vrais bouts de moi, gardés comme un trésor.
Délicatement j’ai entrouvert la porte : je (re)découvrais une pièce baignée de lumière, d’où je libérais une petite Céline pétillante, souriante, avide de me dire, de me montrer et de me faire visiter…. sa petite cabane faite de ciel.
Et vous : Avez-vous retrouvé et réouvert la porte de votre pièce cachée ? celle des “vrais bouts de vous”, votre cabane faite de rien, faite de vie?
Parents : Participons -nous déjà à la construction et la décoration de la maison des pensées de nos enfants? Est-ce une décoration à notre goût ou à la leur?
Copyright © 2018 Céline Lamy. Tous droits réservés.