Oui mais…

L’enfant a 6 ans, il rêve d’un cheval; il élabore sur un petit carnet son plan pour construire l’écurie dans la salle de jeux, près de sa chambre, en projetant de faire dans le mur conjoint, une petite fenêtre, afin de pouvoir caresser son cheval le soir avant de se coucher.

Il a tout prévu. Ouvrir la petite fenêtre chaque fois , ce sera son bonheur, son rêve. Les adultes autour l’écoutent, patiemment, jusqu’à ce que l’un d’eux demande à l’enfant :

“Oui mais, comment tu vas le faire monter ton cheval à l’étage de ta chambre?”

Une ombre passe dans le regard de l’enfant ( stupeur et incompréhension mêlées) mais rapidement remplacée par un éclair de malice et de génie :

“Un ascenseur, je vais construire un ascenseur”, s’exclame l’enfant, triomphant et heureux. Sourire (narquois et dubitatif de l’adulte) qui réplique :

“ Oui mais, les odeurs d’écurie dans ta chambre, ça ne t’empêchera pas de dormir?”

Le deuxième oui mais est fatal. L’ombre qui avait traversé le regard de l’enfant s’est installée, tatouée.

 

Autre enfant, autre histoire : “Plus tard je voudrais voyager et écrire des livres ...” “Oui mais, dit l’adulte, ça ne paiera pas tes factures”

Et je repense à la petite Céline qui, il y a plus de 30 ans, construisait des cabanes de ciel et de nuages, jusqu’au Oui mais maladroit d’un grand cousin ( " Ma maison des pensées")

 

Un oui mais supposément aidant et constructif. Constructif de quoi? Un oui mais qui nous transforme, « un mais à la fois », en adulte.

Oui est un encouragement à continuer à rêver, croire, imaginer…

Oui mais est un poison qui limite puis empêche.

 

Je regarde mes enfants, mes patients, et je me demande quels sont ceux qui n’ont pas encore été envenimés par les oui mais d’adultes?

Il me semble qu’il en reste peu, ou qu’ils sont contaminés par nos oui mais de plus en plus tôt; comme si grandir, devenir adulte, « raisonnable » rapidement, était gage de bonne santé mentale...

Et pour tous ceux qui ne sont pas raisonnables assez tôt, trop dans la lune, qui continuent à rêver, à être créatifs, imaginatifs, “bavards de vie”, on peut toujours les “faire voir” par un professionnel, au cas où…

 

OUI MAIS : si les vrais abimés étaient les adultes atteints de “oui maisite” aigue?

Si c’était les adultes, nous, qu’il fallait aider de toute urgence et pousser à aller voir quelqu’un pour guérir de cette maladie?

Pour aider à faire ressurgir, celui, celle que nous étions avant le premier oui mais ?

Certains pourraient me dire :

“ Oui mais , la vie c’est pas une comédie; il ne s’agit pas de laisser penser aux enfants que tout sera toujours possible, qu’il suffit de le rêver pour que cela arrive… Oui mais, moi aussi j’avais des rêves et la vie m’a vite rappelé à l’ordre… Oui mais la vie, c’est réel, c’est douloureux, c’est effrayant, il faut être préparé...Oui mais, éduquer un enfant c’est prévoir pour lui, plus tard il nous remerciera”

 

Aurore Guitry écrit “ Être adulte, c’est aussi se rendre à l’évidence, lâcher ses rêves d’enfants pour se laisser menotter à la réalité”

Pourquoi nous laisser menotter à la réalité? Et quelle réalité d’ailleurs?

Le risque est de perdre la connexion avec l’enfant (notre enfant intérieur, nos enfants, ceux que nous côtoyons, soignons)

J’ai besoin de maintenir ce lien avec la petite Céline, celle qui construisait des cabanes, pour ma bonne santé mentale, mon équilibre, ma vie relationnelle, avec ma famille, mes amis, mes patients, leurs parents.

Pourquoi chausser ces lunettes d’adulte, qui me donnent une vision étriquée, limitante?

Pourquoi faire de la réalité un “oui mais permanent” ?

Même entre adultes, nous adorons utiliser le oui mais: c’est comme un sport universel.

J’ai entendu ce oui mais, en choisissant médecine, puis la psychiatrie, en quittant la France, en décidant de publier mon premier livre et d’y livrer, dévoiler mes fragilités… Et si j’avais écouté ces oui mais donnés par les bons conseilleurs, les frileux, somme toute bienveillants?

 

Et vous, être vous atteints de la oui maisite aigue, cette maladie adulte ( grave mais pas incurable) qui pousse l’adulte à oublier le champ des possibles, de la créativité, du rêve et de l’imagination pour se laisser engluer dans la réalité?

Comment savoir si vous êtes atteints ?

Regardez bien cette image et dites- moi, qu’est-ce que c’est ?

La majorité aura répondu un bâton. Et c’est effectivement le cas. Mais un enfant y verra aussi une baguette magique, une lance de lilliputiens, un mât de bateau pirate, une canne à pêche…

Bref tout un univers de possible…

Et je repense à cet enfant, dans mon bureau , qui cuisinait avec joie pour le docteur et son père , avec des morceaux de papier ; tendant l’assiette au père, fier de sa réalisation, on pouvait presque sentir l’odeur du chocolat de ce gâteau certes imaginaire mais concocté avec tant de cœur qu’il en était alléchant; et tandis que je me léchais les babines d’une deuxième part, l’enfant roulant les yeux de plaisir, le père refusa la première assiette : “Oui mais c’est quand même que du papier hein”

Alors, c’est grave Docteur?

La situation est grave certes mais pas désespérée!

On peut guérir :

En enlevant notre armure d’adulte rigide, notre carcan, nos masques, nos chaussures bien cirées,nos déguisements ridicules, que l’on enfile justement par peur “d’être nous” ( quelle ironie).

En s’asseyant avec l’enfant qui rêve d’un cheval pour participer au projet et lui dire Oui Et,

En reprenant une deuxième part de ce gâteau de papier,

En disant à l’enfant que oui, écrire des livres, écrire ses émotions c’est beau et qu’on lira avec plaisir ses histoires,

 

« Et se souvenir de l'enfance Aussi longtemps qu'il soit permis

Et de la garder comme essence…

Un peu pour soi l'reste pour autrui » (Koutémoué, Zoufris Maracas)

 

Oui à la vie, faite d’épreuves certes et de coups durs, mais oui à cette vie belle de ces merveilles quotidiennes, de ces petits bouts d’existence qui ne seraient peut-être jamais arrivés avec un OUI MAIS…

 

« Parles-moi dit -elle

Au sujet de notre maison,

de nos enfants,

de notre jardin,

sur les vies que nous aurons…

Mais il ne pu jamais le faire.

Et ce n’est que quand elle fut partie

Qu’il comprit, qu’elle n’avait pas besoin de la maison,

Mais qu’elle avait seulement besoin du rêve »

( Atticus, libre traduction de la version anglaise)

 

Et vous :

Souhaitez-vous guérir de la oui-maisite aigue?

Vos enfants sont-ils déjà contaminés?

 

 


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