J’ai eu honte
Ma fille il y a quelques jours, dans une compétition d’équitation (sa première), a chuté.
Remontée sur le canasson, elle a gardé le sourire pour finir son tour de piste.
Quelques minutes après, je lui signifiais combien je la trouvais courageuse d’être remontée et d’avoir souri jusqu’au bout (alors que moi je me remettais tout juste de mon presque arrêt cardiaque après sa chute!).
Elle me répondit : « Je me suis dit que les gens se moquaient sûrement de moi d’être tombée, alors j’ai gardé le sourire pour ne pas en rajouter. Mais j’ai eu honte »
J’étais doublement sidérée : de ce sentiment de honte ressenti par ma fille (à quel âge commençait-on à ressentir la honte?) mais aussi de sa capacité à la nommer si bien.
Et je repensais à Christophe André, écrivant que « formuler sa honte, c’est déjà la maîtriser »
Cela me replongeait des dizaines d’années plus loin, où j’avais petite, à l’école, ressenti ce sentiment d’indignité, d’infériorité, ce malaise parce que, à l’époque je portais un cache sur l’œil… puis plus tard face à la remarque d’un adulte parce ce que je « zozotais ».Ce malaise, ce cœur qui se sert, la chaleur du visage qui s’empourpre, cette envie de se cacher ou d’être encore plus petite, s’extraire du regard de cet autre… c’était cela la honte, mais je ne crois pas que, comme ma petite Adèle, j’aurais été capable de la repérer, encore moins de la nommer…détail de l’enfance diraient certains et petites hontes ressenties par tous, à un moment de notre développement, indispensables pour grandir disent les grands, « pour se secouer »… « pour apprendre à être à sa place et ne pas se croire merveilleux » diront d’autres… Pour d’autres enfin, le sentiment de honte serait indispensable pour apprendre à ajuster son comportement socialement, entre ce qui se fait et ce qui ne se fait pas.
Oui je me souviens que cette honte d’être différente m’a forgée : d’abord un sentiment de peur vis-à-vis des autres (ne pas se faire remarquer pour éviter de se faire plus intimider ou moquer) puis de combativité dans ma persévérance à l’école malgré mon handicap (plus tard, ils verront) bref un isolement de l’autre, d’une façon comme d’une autre…
Isolement qui s’est creusé au fil du temps, tout en maintenant une apparente aisance et facilité d’être, si connue des gens pétris de honte qui surjoue une estime de soi bien illusoire mais qu’un regard peut refaire basculer dans la honte de soi et le sentiment d’imposture…
Alors, quelles conséquences de la honte sur nos enfants et pour nous plus tard?
Je passerai sous silence la vision psychanalytique qui relie la honte à celle éprouvée lors de l’Œdipe…
J’aime plutôt une vision systémique qui rappelle que la honte touche à trois bases essentielles de notre être : notre estime, notre lien avec nous-même et notre sentiment d’appartenance dans le groupe.
Elle touche d’abord à notre estime dans ce sens où elle nous fait percevoir indigne, insuffisant, vision devenant jour après jour prédominante dans notre pensée. On a honte, puis on devient honteux enfin on est la honte…
On se sent fautif d’être et par extension coupable. Honte et culpabilité sont d’ailleurs souvent deux très bonnes amies indissociables. Beaucoup pensent que s’ils se sentent honteux c’est parce qu’ils doivent être coupables de quelque chose…
La honte attaque ensuite notre lien à nous-même, avec notre « partenaire intériorisé » comme l’appelle Serge Tisseron (vous savez, le meilleur ami dont je parlais dans l’un de mes articles ). Normalement, nous devrions être capables, lors de situations qui peuvent induire de la honte, d’avoir un dialogue interne suffisant qui nous permettrait de relativiser, d’en prendre et d’en laisser comme on dit, bref de ne pas nous laisser envahir par la honte.
Ceci est une capacité qui se développe mais comment faire quand cette honte a été vécue, ressentie dans les premières années de vie? Quelles capacités de protection a-t-on, si ce n’est l’acceptation impuissante de ce qui nous est renvoyé et de ce que l’on achète, nous concernant, à savoir « je suis un enfant indigne, insuffisant »?
Lorsque nous n’avons pas appris ce dialogue intérieur bienveillant, rassurant « je suis assez, je suis suffisante, je suis digne d’attention, d’amour » alors la honte ressentie, peut petit à petit nous couper un peu plus de nous-même jusqu’à la détestation…
Et de la coupure de soi à la coupure de l’autre il n’y a qu’un pas… franchi allégrement dans le sentiment d’être isolé des autres ou de devoir s’isoler, à cause de cette indignité, de cette impression d’infériorité ou d’inadéquation….
«La honte non dite accompagne le glissement vers une indignité toujours croissante » (C.André)
Alors me direz-vous, si ce dialogue rassurant intérieur n’est plus présent (chez un adulte abimé par la vie) ou pas mature (chez les enfants), comment faire ?
Il faut trouver un interlocuteur qui va nous écouter : recueillir cette honte, l’accueillir, et poser sur nous un regard bienveillant, qui va possiblement, avec sa chaleur d’écoute, faire fondre cette honte et la dissiper… bref nous voir dans ce que nous sommes, ni plus, ni moins, juste tel que nous sommes. Oui on en revient toujours à ce regard de l’autre, qui peut beaucoup … à la fois tant nous prendre comme tant nous apporter…
On comprend alors un autre aspect de notre rôle parental dans l’accueil de nos enfants face à ce sentiment si particulier. Dans une étude sur la honte datant de 1998, les auteurs associent la honte dommageable à l’absence d’une acceptation inconditionnelle parentale. L’enfant ne réussit pas à obtenir dans ce cas une saine perception de lui-même car il n’a pas été validé par son parent…et je perçois déjà très tôt ce phénomène chez certains enfants que je croise dans mon bureau… il est dit d’eux parfois par l’adulte qu’ils recherchent de l’attention, en multipliant des comportements… il cherche l’attention oui, mais dans le sens du « je fais attention à toi, tu comptes, tu es important pour moi ».
Ce sentiment est important nous l’avons vu dans notre capacité future à nous prémunir du sentiment de honte récurrent… au-delà de cela, la façon dont nous guiderons nos enfants à exprimer leurs émotions ressenties et surtout à partager les moments de honte ressentie, sera aussi primordial. On parle d’être capable, petit à petit à entrer en contact avec ses émotions, sentiments et pensées difficiles … C’est le travail de l’acceptation dont je parle si souvent dans mes textes.
La honte est un sujet au combien important, j’en parle beaucoup dans mon livre car quand survient la maladie mentale, ce sentiment d’inadéquation est réactivé, de façon très intense. On a honte de ce dont on souffre, de ce qu’on est, honte d’être ( article se cacher de soi)
Une des citations qui fait tant de sens pour moi et que je cite dans mon livre
Et vous : Avez-vous apprivoisé ce sentiment si complexe?
Comment accompagnez-vous vos enfants dans cela?
On me demande souvent : les histoires de tes enfants dont tu parles dans tes textes, c’est vrai? La réponse est oui! Pourquoi tout part souvent d’une anecdote? Parce qu’être parent, vivre avec un enfant, ou travailler avec des enfants, nous renvoie à nos propres schémas, nous bouscule dans le sens de remise en question, nous rappelle ce que nous étions, enfant, ce que nous aurions voulu être et n’avons pas pu, osé, choisi.
Bref oui, cela part toujours et souvent de l’enfant… alors aujourd’hui, pour ne pas changer, encore une anecdote…
Copyright 2018 Céline LAMY. Tous droits réservés
Parfois le corps aussi nous aide à signaler ces émotions, j’ai vu des parents capables de bien comprendre les émotions de leurs enfants en les observant, des parents plus observateurs peut-être, quand on est plus verbal alors oui les mots c’est bien, certains enfants, sont un peu plus expressifs par le corps, les postures, elles aussi sont à laisser s’exprimer librement pour pouvoir laisser l’enfant nous parler.
Je pense encore aujourd’hui que le mieux pour un enfant c’est de lui apprendre à exprimer ses émotions autant par l’expression du corps que par les mots parce que la mentalisation et la verbalisation prennent plus de temps et d’énergie que la simple posture qu’on prend naturellement, on aide nos enfants aussi en les aidant à moins se fatiguer pour des choses si naturelles. Aujourd’hui j’ai vu qu’on installe dans des classes de maternelle des lieux où un enfant en colère a le droit d’aller frapper un coussin. Pas de mentalisation ni de verbalisation excessive ici, juste de la pure expression instinctive et qui doit bien plus soulager. Adaptée socialement car définie dans un cadre et par des lois communément acceptées.
Je viens d’une famille qui verbalisait (trop), j’étais une enfant très expressive par le corps, j’ai souffert de devoir intellectualiser trop mes émotions, et de ne pouvoir les exprimer souvent que par les mots. J’aurais voulu à l’époque que l’enfant que j’étais soit autorisée à pleurer, hurler (dans un cadre), rire, taper contre un coussin, sourire, etc.